Rencontre avec un maître de Tai Chi Chuan hors normes
Article original en anglais de Ronnie Robinson avec Sifu Adam Mizner pour le magazine Tai Chi Chuan Magazine. Traduction Mohammed Saïah. Adam Mizner est récemment apparu sur la scène internationale du Tai-Chi-Chuan, principalement par l’intermédiaire de quelques vidéos et des liens vers son site internet contenant peu d” informations à part ses clips vidéo. Les films semblent se concentrer sur les compétences de « poussées de mains » où son « adversaire » rebondit sur le sol, souvent violemment, avec semble-t-il un toucher ou une force quasiment inexistante. En revanche, un autre clip montre une forme à main nue, interne et profondément connectée, ce qui pour moi, montre beaucoup plus son talent de pratiquant que les démos de poussées des mains (推手 tuī shǒu).
Interview de Sifu Adam Mizner : partie 1
Nous pourrions peut-être commencer par vous demander comment vous avez débuté cette discipline ?
Quand j‘étais adolescent, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, je suis allé dans la mauvaise direction et j’avais besoin de quelque chose pour « redresser » ma vie : j’ai donc choisi le Kung Fu. Mon professeur de l’époque m’a dit de faire du TaiJi Quan, j’ai donc suivi ses conseils et tout a démarré de là.
Donc, votre objectif était d’entrer dans cet art avec l’intention d’y trouver une méthode pour vous discipliner, c’est bien ça ?
Tout à fait, c’était pour la discipline et le développement du caractère.
Quel âge vous aviez vous à cette époque ?
J’avais 16 ans.
C’était plutôt malin à 16 ans de se rendre compte que peut-être vous pourriez développer votre caractère ?
Disons que je suis bien trompé de voie, ce qui m’a permis de m’éveiller un peu plus tôt que la moyenne.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre enseignant et pourquoi vous l’avez choisi ?
Il était tout simplement le meilleur artiste martial dans mon état.
Comment avez-vous été formé et comment a‑t-il répondu à vos attentes ?
C’était un système de Kung Fu externe très dur, avec beaucoup d’épreuves pour former l’esprit et le corps, essentiellement pour faire de vous un homme. Il nous a appris à nous discipliner, ce qui était exactement ce que je cherchais à l’époque
Etudiez-vous des formes (sans contact) ou était-ce uniquement un apprentissage des arts martiaux ?
Les 2, principalement des applications, avec beaucoup d’emphase sur les compétences de combat.
En ce qui concerne la discipline et le développement du caractère, est-ce-que la compétence au combat était complémentée avec de la méditation ou quelque chose de cette nature ?
Pas dans l’école, mais je commencé à pratiquer la médiation dés le premier mois d’apprentissage de mon côté.
OK ! Tout ce contexte a peut-être été intéressant à l’âge de 16 ans, mais il ne permet pas vraiment de faire le lien avec ce que vous êtes maintenant, alors quel a été votre parcours pour atteindre les compétences que vous avez aujourd’hui ?
Je me suis entraîné dans ce style pendant quatre ans et puis je me suis consacré entièrement à l’étude du Tai Ji Chuan et j’ai continué à travailler dur.
Où viviez-vous alors ?
En Australie, sur la Gold Coast.
Y avait-il beaucoup de professeurs de Tai Chi autour de vous à cette époque ?
Non pas vraiment ! Ce qui m’a fait basculé pleinement dans le Tai Chi Chuan est une vidéo de Grand Maître Huang. Cela m’a convaincu que c’était un art que je voulais étudier en profondeur.
Qu’est-ce que vous avez vu dans la vidéo qui a stimulé votre intérêt ?
Naturellement, la puissance sans effort (Song Jin) a attiré profondément mon attention. J’avais vu et ressenti des choses incroyables dans ma formation précédente, mais cela était vraiment d’un autre niveau. Mon enseignant de Qi Gong de l’époque m’a montré la vidéo et pouvait démontrer suffisamment cette force sans effort. Cela m’a convaincu que ce n’étais pas un trucage pour la caméra. Outre la compétence démontrée, ce qui m’a épaté c’est de voir un vieil homme projeter autour de lui un groupe de jeunes hommes costaux tout en riant et s’amusant ! Il y avait un bonheur et une joie que je n’avais pas vu avant dans les arts martiaux avancés.
Combien de fois vous entraîniez-vous ?
Au moins quelques heures par jour avant et après le travail, autant que possible en fait.
Pouvez-vous préciser exactement ce que vous faisiez durant votre apprentissage ?
Durant les premières années, je passais le plus clair de ma formation entre la méditation assise et les exercices de Song Gong (note du traducteur : exercices qui permettent de relâcher en profondeur le corps et d’unifier la force interne). Sinon, je répétais inlassablement des mouvements très simples et des exercices avec partenaires sur place, essentiellement pour apprendre à être relâché sous la pression et à recevoir la force.
Comment ce que vous avez appris durant cette période affecte ce que vous êtes maintenant et comment ce que vous êtes aujourd’hui a changé, comparé avec ces premiers concepts acquis sur le TaiJi Quan à l’époque ?
J’étais totalement différent dans mon « moteur » interne, la façon dont je bougeais n’était pas du tout liée. Il n’y avait pas de Gong Fu dans mon corps à ce stade mais il m’a appris à me former. Ce que je fais maintenant est totalement différent, mais les années dans cette école m’on appris comment « goûter l’amer » (note du traducteur français : expression traditionnelle pour exprimer la difficulté à étudier ces arts), comment me mettre le travail et non pas seulement planer autour.
Cela vous a donné un sentiment de nécessité de travailler dur pour atteindre ce que vous vouliez apprendre. Avez-vous alors voyagé pour aller vers d’autres enseignants et pour changer votre point de vue sur votre pratique ?
J’ai rencontré d’autres personnes qui ont été formées au Tai Chi Chuan et, à travers eux, j’ai pu rencontrer d’autres enseignants, ce qui m’a conduit à une recherche encore plus approfondie, en particulier dans la méthode de Maître Huang. Les années passant, j’ai rencontré d’autres enseignants de d’autres écoles du style Yang et j’ai continué ainsi à chercher et apprendre autant que possible.
Il y a un certain nombre de branches de l’école de Maître Huang et, étant donné que la prise de conscience de la plupart des gens de ce système provient aujourd’hui des vidéos sur YouTube, où il semble faire rebondir des gens autour de lui sans presque rien faire, vous devez avoir des attentes élevées des la part des étudiants qui viennent à vous. Comment vous y prenez-vous avec eux ?
Je voyage et enseigne dans de nombreux endroits, en raison de cela j’ai la chance de « toucher » (poussée des mains ou échanges martiaux) des centaines de nouvelles personnes, dont beaucoup ont des doutes et / ou des attentes. Je ne suis pas concerné par ces choses. Quand nous prenons contact, les gens savent : ils peuvent le sentir et du coup le doute disparaît. Je dois faire face à de nombreuses critiques et sceptiques, pas un seul d’entre eux ne m’a jamais touché. De tous les gens qui sont venus me rencontrer ou apprendre dans un atelier ou un cours, pas un seul d’entre eux n’est reparti avec un doute dans son esprit.
Parce qu’il y a beaucoup de gens que je ne peux voir qu’une ou deux fois par an dans un séminaire, et parce que la plupart des gens ne dispose tout simplement pas d’accès à une véritable instruction de Taiji Quan, je me suis résolu, après beaucoup d’insistance de mes élèves, à concevoir et à mettre un cours en ligne. Le programme de discovertaiji.com donne aux étudiants les outils pour développer leurs propres compétences, étape par étape, et donc d’atténuer tout doute par eux-mêmes. Au sujet des critiques sur l’aspect coopératif (du travail à 2) : je trouve cela plutôt stupide car, à moins d’être dans un combat sans aucune règle (donc de survie), il faut nécessairement qu’il y aie une coopération. La plupart des gens civilisés ne veulent pas s’engager dans ce type d’activité. Il y a bien plus à apprendre dans le Tai-Chi-Chuan que seulement à blesser son adversaire.
Ce qui vous a fait remarquer ce sont vos poussées des mains (tuī shǒu), qui sont votre point fort maintenant et semblent être ce sur quoi vous vous concentrez. Tout cet aspect de votre travail est très clair et très intéressant, cependant ce qui m’a vraiment frappé (lors du visionnage d’une de vos vidéos) c’est la qualité de votre forme. Souvent, il y a un fort accent sur l’un ou l’autre mais là j’ai vraiment été épaté par votre forme de Tai Ji Chuan et c’est là que j’ai vu que vous aviez quelque chose de différent.
Tout est dans la forme comme on dit, mais c’est seulement vrai si celle-ci est authentique. Si vous pratiquez une forme « vide », alors il n’y a rien dans votre forme. Si vous avez tout en place en vous, alors oui, tout est dans la forme. La forme est extrêmement importante. Nous équilibrons notre entrainement environ à 50/50 (forme/travail à 2).