Le Yang Sheng dans la tradition monastique taoïste
Lors de notre dernier voyage en Chine, nous avons eu l’opportunité de passer trois jours au monastère de Huáng dàxiān (黄大仙祠) et de recevoir des enseignements sur le Yang Sheng de plusieurs moines taoïstes dont le prêtre Niu.
Qu’est-ce que le Yang Sheng ?
Le Yang Sheng est à l’origine des arts de préservation de la santé dans la culture chinoise.
Yǎng (养) veut littéralement dire :
- éduquer
- nourrir
- entretenir
Shēng (生) veut littéralement dire :
- donner naissance
- naître
- vitalité
L’image qui nous vient naturellement est celle d’un enfant que l’on voit naître, puis grandir jusqu’à maturité. Notre santé est à l’image de cette énergie naissante « sans éducation » ni protection qui aurait des difficultés à prendre racine dans la vie pour s’épanouir sans un tuteur. Le Yang Sheng vise à apporter le soutien nécessaire pour cultiver la force de vie qui sommeille en nous et autour de nous. Il est le support du vivant qui permet de trouver une juste place dans la Nature.
Voici le résumé de nos entretiens avec le prêtre Niu, recueillis par Maëlla Caro & Mohammed Saïah sur le Yang Sheng.

Prêtre Niu (à droite) et un maître d’arts martiaux nous présentent des plantes médicinales du temple. Crédit photo : M. Saïah
La pratique du Yǎng Shēng (養生) au monastère
La vie contient la dureté et la souplesse, le haut et le bas, etc…symbolisés par le Yin et le Yang. Ceux-ci se matérialisent dans le corps par le mouvement (Yang) et l’immobilité (Yin). On ne peut séparer les deux, ils sont complémentaires. Ainsi dans les arts martiaux, pour cultiver le mouvement on pratique l’immobilité dans la posture Zhan Zuang Gong.
Les moines suivent les 5 règles de vie suivantes :
- Chasteté
- Ne pas tuer (végétarisme)
- Ne pas dire de mauvaises paroles
- Ne pas voler ni tromper
- Eviter les nourritures qui donnent trop de sensations (alcool, ail, oignon…qui dissipent le Qi).
La pratique méditative sera soutenue par le respect de ces cinq règles. La base du Yang Sheng est de favoriser une libre circulation du Qi, et pour cela, les méridiens doivent être nettoyés au quotidien.
Les deux principales causes d’obstruction du Qi (ou chi)
L’alimentation est cruciale, car elle est l’une des deux principales raisons d’obstruction des méridiens. A l’exemple d’un chemin, une route, une autoroute : plus c’est large et dégagé, plus on peut circuler vite. Mais, à partir du moment où un chemin est bloqué, cela développe un encombrement, une stagnation du traffic. Et à la différence de l’exemple des chemins où l’on chercherait une déviation si une route est bloquée, dans la santé on ne cherche pas de chemin de traverse, mais il faut tendre à libérer le blocage, ce qui peut prendre parfois très longtemps.
Modérer ses émotions et sa nourriture
Il insiste beaucoup sur la modération alimentaire, les aliments trop forts blessent les sens, et demandent beaucoup de Qi pour être éliminés, c’est donc considéré comme un gaspillage du Qi. La viande notamment, très forte en goût, et qui de plus véhicule les émotions de l’animal, est évitée par les moines.
La deuxième cause d’obstruction du Qi sont les émotions. Quand elles sont excessives, elles engendrent une circulation perturbée du Qi. La méditation va permettre de ne pas vivre les émotions de façon trop extrême. Il ne s’agit pas d’éteindre les émotions, mais de les modérer. Dans la vie de tous les jours, toutes les émotions extrêmes vont blesser (trop de joie, de colère, de peur, de tristesse), tout comme les nourritures extrêmes.
La première étape du travail spirituel est d’être en bonne santé. « Que peut-on faire dans la vie si on n’a pas la santé ? » Une fois que les méridiens sont purifiés, la méditation va alors pouvoir activer et décupler la circulation du Qi.
Yang Sheng et spiritualité
Vers un niveau spirituel plus avancé, le jeûne total devient nécessaire. On parle dans le daoïsme (prononcé taoïste) d’arrêter les céréales bìgǔ (辟谷). Ceci se fait très progressivement, dans le respect des possibilités du corps. Le lieu doit être propice et calme, le coeur et les émotions pacifiés, le mental stabilisé (on ne pense plus à rien). On limite la nourriture, puis on ingère seulement des fruits et de l’eau chaude, puis on jeûne totalement pendant quelques jours, puis on reprend un peu de céréales, tout ceci va très lentement. Des manifestations physiologiques d’évacuation peuvent survenir : maigrir, grossir, des éruptions cutanées, douleurs…etc. Le jeûne doit toujours être associé à une activité physique.
Selon le daoïsme, la pratique spirituelle est liée à la méditation et aussi à l’hygiène de vie. Maitre Niu insiste beaucoup sur le fait de ne pas manger d’aliments transformés et de ne pas mélanger différentes céréales sur un même repas.
Il est important de s’harmoniser aussi avec le rythme des 24 saisons, lié au rythme de la lune et du soleil. En équilibrant ainsi le macrocosme (la nature extérieure) et le microcosme (notre nature intérieure).
Toutes les pratiques commencent par se focaliser sur l’intérieur, oublier l’extérieur, et chercher un bien-être intérieur. Il n’y a pas de règles pour cela. On cherche l’harmonie, qui dépend de chacun.
Les méthodes pratiques du Yang Sheng
Elles sont de deux sortes : en mouvement et dans l” immobilité dans la tradition du Yang Sheng.
Immobilité Jìng Gōng (静功)
On cherche à vider l’esprit, on régule la respiration qui doit être régulière (inspir/expir égaux) et profonde. Quand on se focalise sur la respiration, l’esprit se stabilise. Si les émotions sont trop fortes, il vaut mieux arrêter, ne jamais forcer. Quand on médite on devient plus réceptif, et il faut se protéger des « énergies perverses » comme le vent, le froid ou la chaleur extrême.
Mouvement Dòng Gōng (动功)
La vie, c’est le mouvement. Cultiver la vie se fait par le mouvement avec les Dao Yin. Il ne s’agit pas seulement de bouger le corps, mais aussi d’utiliser la respiration et l’esprit. Les principes du Dao Yin : étirer les tendons et séparer les os.
Tout ceci est la base de la pratique. Si cela n’est pas compris et appliqué, on ne peut aller plus loin. Il conclut en nous précisant que méditer est délicat. Si cela est pratiqué de façon incorrecte, cela peut provoquer des désordres internes. Il vaut mieux être guidé par un professeur.
Conclusion
Loin d’être exhaustive cette présentation n’en donne pas moins une bonne idée de l’étendue et de la profondeur du Yang Sheng de la tradition taoïste. Le Yang Sheng est avant tout une voie de modération et de bon sens. Il appartient donc à chacun de protéger la vie en soi et autour de soi.
Pour aller plus loin
- Stage « Fondations du Yang Sheng » avec Per Nyflet – 28 et 29 octobre 2017
- Stage « Les Trésors du Yang Sheng » avec Maëlla Caro & Mohammed Saïah – 17 et 18 mars 2018