La sexualité, ou l'art de la chambre, a fait couler beaucoup d'encre en Chine depuis des millénaires. En incarnant le mélange du yin et du yang sur un plan physique, émotionnel et spirituel, la sexualité y est vue comme une pratique de santé, voire une voie d'éveil.
Le Tao de la sexualité a des caractéristiques particulières qui permettent à l'homme de préserver sa santé, et à la femme d'être libre de toute maladie. Ils seront heureux dans leur cœur et la force de leur Qi sera puissante._Le classique de Su Nu, 3ᵉ siècle.
Un peu d'histoire
En Chine, la sexualité est vue tout autant comme source de plaisir et de joie, que comme une façon de stimuler et renforcer le corps et l'esprit. Au-delà, c'est aussi une voie vers la réalisation spirituelle.
Dans la grotte de Mawangdui, on découvrit de très anciens traités chinois sur la sexualité, écrits au 2ᵉ siècle (av. JC) : He yinyang, "Unir yinyang", et Tianxia zhidao tan, "Le parfait Dao du monde".
De nombreux autres traités virent le jour, comme le Su Nu Jing, "Le canon de la fille immaculée", sous la dynastie des Han, ou “Les instructions secrètes de la chambre de Jade" au 4ᵉ siècle de notre ère.
On y apprend comment augmenter le plaisir féminin et revigorer le partenaire masculin. Le langage de ces livres est poétique plutôt qu'émoustillant : pivoine épanouie, porte vermillon, tige de jade ou pilier du dragon céleste évoquent ainsi joliment les organes génitaux.
Tous décrivent le sexe comme un art de plaisir, mais aussi de santé et de longévité, si l'on en suit les règles.
La sexualité et la santé
« L’art de la chambre » ou « les jeux des nuages et de la pluie » envisagent la sexualité comme un moyen de se revitaliser et, dans ce sens, elle est thérapeutique. En effet, ovaires et testicules sont des réservoirs énergétiques.
Par l’attention portée aux sensations et la maîtrise respiratoire, les techniques sexuelles taoïstes tendent à recycler et transformer cette énergie. En la faisant monter du foyer inférieur vers le foyer médian et supérieur, on stimule les vaisseaux merveilleux, irriguant ainsi tout le corps et nourrissant le cerveau.
Faire l’amour crée alors un « corps d’énergie » entre les deux partenaires, qui se maintient par la double attention portée à ses sensations et à celles de l’autre.
L'union de l'énergie féminine et masculine
Pour l’homme, l’énergie sexuelle part du sexe et remonte vers le cœur ; pour la femme, elle part du cœur et des seins, pour descendre ensuite vers le sexe. Le corps de la femme, lié au Yin, offre à l’homme un point d’ancrage à la Terre et lui permet de s’enraciner et de se nourrir.
Le corps de l’homme, Yang, permet à la femme de s’élever vers le Ciel et de se revitaliser. D’ailleurs, en Chine « faire l’amour » se dit « yin/yang »…
La relation sexuelle est vue comme l'union de l'eau et du feu. Ces deux forces primordiales, Kan et Li, se complètent l'une et l'autre.
L'homme, associé au trigramme Li (le Feu), doit passer d'abord par le yang, donc se durcir et s'activer pour venir toucher le yin. Son orgasme s'apparente alors à une focalisation de toute son énergie vers le don.
La femme, associée au trigramme Kan (l'Eau), doit passer par le yin, donc se détendre, pour accéder au yang, et l'orgasme féminin est vécu comme une expansion d'énergie dans tout le corps qui devient réceptif.
L'importance du plaisir féminin
Dans les textes anciens de culture de soi, la sexualité féminine est mise en avant. On y apprend les différentes zones érogènes de la femme et l'ordre dans lequel les stimuler, puis à repérer les signes de l'excitation féminine. Les postures, aux poétiques noms d'animaux, y sont ensuite décrites en détails, et chacune peut avoir des indications thérapeutiques particulières.
Lenteur et persistance sont les clefs pour conduire au plaisir féminin, qui était supposé conduire à la grossesse.
Toutefois, si cet angle féminin est mis en avant, c'est aussi parce que le yin nourrit le yang, et les essences sexuelles féminines sont donc sensées régénérer le yang masculin.
Le sexe, c'est la santé, pour les deux partenaires
"Utilisant mon essence (jing) pour nourrir le jing de la femme, alors les vaisseaux de l'avant sont tous activés. La peau, le Qi et le sang sont stimulés. Ceci ouvre tous les blocages et obstructions. » – He Yinyang (2ᵉ siècle av. JC).
Comme dans toutes les approches de santé chinoise, l'importance est mise sur l'activation de la libre circulation du Qi et du sang, condition première de la santé. La sexualité, permettant une libération puissante de ces fluides, est donc vue comme une force colossale de guérison.
Le danger des excès
Quand le jing est émis, le corps entier se sent fatigué._ Le classique de Su Nu (3ᵉ siècle).
Les excès de sexe (tout particulièrement les excès d'éjaculation, sont considérés comme délétères pour l'homme, qui perd ainsi son Jing. De nombreux textes mettent ainsi l'accent sur la rétention séminale et ses méthodes. Pour la femme, l'orgasme n'est pas vu comme une perte de Jing. Elle perd son jing majoritairement par les pertes de sang, et doit, elle, apprendre à les réguler.
On retrouve ici une des principales clefs du yang sheng, qui est d'éviter les excès, dans tous les domaines.
Les recherches médicales actuelles concernant la sexualité ont validé son impact positif sur la santé et la longévité. En revanche, concernant la rétention séminale, les études actuelles tendent à montrer que de fréquents rapports avec éjaculation ont un impact bénéfique sur la santé, réduisent le risque de cancer de la prostate et augmentent la longévité. C'est sans doute le seul sujet sur lequel les conseils du yang sheng et les recherches médicales actuelles ne convergent pas !
La sexualité comme pratique spirituelle
Le constant entremêlement du ciel et de la terre donne forme à toute chose. L'union sexuelle d'un homme et d'une femme donne naissance à toute chose._Yijing, le livre des transformations.
En résonnant ainsi avec les forces cosmiques, l'union sexuelle est aussi considérée comme un processus de transformation spirituelle, alchimique. Elle fait ainsi partie des pratiques de Neidan (alchimie interne), en tant que pratique méditative duelle. Échangeant ainsi leur essence primordiale pour cultiver la réalisation de soi et l'éveil spirituel.