Introduction au concept de Ziran

Au coeur de la phi­lo­so­phie daoïste et cha­ma­nique chi­noise, on retrouve un concept cen­tral nom­mé Ziran 自然 (zìrán en pinyin) ou voie de la Nature (ou de la spon­ta­néi­té). Dif­fi­cile de l’ex­pli­quer par les mots, il s’a­git essen­tiel­le­ment de retour­ner à la source de notre être ori­gi­nel et de lais­ser cou­ler à tra­vers nous le grand cou­rant de la Vie qui émane du Dao d’une façon spon­ta­née & non-concep­tuelle (Wu Wei ou non-agir).

Nous sommes ravis de vous offrir avec l’ac­cord de Mar­tin Boe­di­cker *, auteur sino­logue & pra­ti­quant che­vron­né de Tai Ji Chuan, une tra­duc­tion qui uti­lise entre autre les idéo­grammes pour déco­der ce concept fas­ci­nant qui donne une dimen­sion plus sub­tile à la pra­tique du Qi Gong, Tai Ji Chuan, médi­ta­tion, etc…

Adresse de l’ar­ticle en anglais de Mar­tin Boe­di­cker, que nous remer­cions vive­ment pour son auto­ri­sa­tion de par­ta­ger son article.

L’un des concepts essen­tiels du Tai Ji Quan, dont l’im­por­tance est répé­tée inlas­sa­ble­ment, est le natu­rel. Par exemple, Wu Ying­hua dit : (Ma, p. 24)

Que ce soit dans une forme ou dans les pous­sées des mains, tout mou­ve­ment doit être naturel.

Il est aus­si habi­tuel de contraindre le natu­rel de la res­pi­ra­tion. Dans une inter­view dans Jour­nal Mar­tial Arts, (p. 8), Ma Yue­liang répond à la ques­tion deman­dant si l’é­tude du Tai Ji Quan est asso­ciée à une tech­nique res­pi­ra­toire spécifique :

Non. Res­pi­rez seule­ment naturellement…

Ma Jiang­bao confirme qu’au lieu de contrô­ler le souffle ou d’a­jus­ter le mou­ve­ment à la res­pi­ra­tion, on doit res­pi­rer comme à l’or­di­naire pen­dant l’ap­pren­tis­sage la forme de Tai Ji Quan. La res­pi­ra­tion pro­fonde et com­plète s’ins­tal­le­ra avec une pra­tique régu­lière et le souffle s’a­jus­te­ra alors ensuite natu­rel­le­ment aux mou­ve­ments. (Ma, p. 53)

Tou­te­fois, les étu­diants de Tai Ji Quan, en par­ti­cu­lier les étu­diants occi­den­taux, réagissent avec un mélange d’a­mu­se­ment et de désar­roi face aux dif­fi­cul­tés dans l’exé­cu­tion d’un mou­ve­ment et on leur conseille de l’exé­cu­ter « com­plè­te­ment natu­rel­le­ment ». Ceci est géné­ra­le­ment attri­bué à une incom­pré­hen­sion basée sur l’i­gno­rance du sens pro­fond du concept chi­nois de Ziran.

En Tai Ji Quan, Ziran est tra­duit par « natu­rel ». Mais Ziran est un concept qui a un sens à la fois com­mun et phi­lo­so­phique. Ziran est un mot com­po­sé des deux idéo­grammes chi­nois Zi et Ran.

Zi Ran

Lit­té­ra­le­ment, la tra­duc­tion simple com­prend le mot comme une com­bi­nai­son de ces deux carac­tères. Un dic­tion­naire nous dira que « Zi » signi­fie « soi » et Ran « ain­si » (ou éga­le­ment « cor­rect » note du tra­duc­teur)  lit­té­ra­le­ment Ziran signi­fie donc « soi ainsi ».

Cette tra­duc­tion est plu­tôt simple et elle doit indi­quer l’i­dée ori­gi­nelle qui sous tend le concept de Ziran. 

Dans une entrée plus large du même dic­tion­naire, nous trou­vons la tra­duc­tion de Ziran par : « nature, natu­relle, par lui-même, lais­ser quelque chose suivre son cours naturel. »

Ziran peut donc sim­ple­ment être l’é­qui­valent de nature, mais il indique aus­si la nature inté­rieure de tout être ou chose qui est soi-même.

Si l’on étu­die l’his­toire de la phi­lo­so­phie chi­noise, on trouve la pre­mière uti­li­sa­tion du concept de Ziran dans le Lao­zi, dans le Zhuang­zi, dans le canon mohis­tique ain­si que dans le Xun­zi (voir aus­si Röl­like).

Le concept de Ziran fut déve­lop­pé en réponse à la ques­tion « Qu’est-ce-que le  Dao ? »  Lao­zi, dans le ver­set 25 nous dit :

L” Homme suit la loi de la terre,

La Terre suit la loi du ciel,

Le Ciel suit la loi du Dao,

Le Dao suit la loi de Ziran.

Bauer explique : L’ex­pres­sion Ziran veut dire : « qu’il en soit ain­si par soi-même ». Uti­li­sé pour la pre­mière fois par Lao­zi, elle ren­voie à la struc­ture du Dao, qui ne peut être défi­ni par rien d’autre » (Bauer, p. 202). A l’in­té­rieur de la tra­di­tion daoïste, ceci implique que par le retour vers la nature, on peut se rap­pro­cher du Dao. En obser­vant et en imi­tant la nature et à tra­vers le rejet de la culture humaine, on peut par­faire sa propre nature.

Au second et troi­sième siècles ap. JC, ces idées vont chan­ger : il ne s’a­git plus de recher­cher abso­lu­ment le Dao dans la nature, mais bien plu­tôt à l’in­té­rieur de soi-même, vu comme un miroir du Dao. 

Bauer dit que « c’est uni­que­ment par la connais­sance de soi-même, à tra­vers toutes les expres­sions et acti­vi­tés de la vie, que l’on retrouve les carac­té­ris­tiques déci­sives du natu­rel et de la liber­té qui peuvent être trou­vées dans la nature et le Dao tout comme dans l’être humain idéal ou par­fait. » (Bauer, p. 203)

Selon Wu Ying­hua, la recherche du natu­rel peut s’ex­pli­quer en fai­sant réfé­rence à l’o­ri­gine de nom­breux mou­ve­ments du Tai Chi Chuan dans les arts mar­tiaux tra­di­tion­nels chi­nois. Ces mou­ve­ments furent déve­lop­pés en accord avec la phy­sio­lo­gie humaine et les lois de la nature.

Dans leTai Ji Quan, on dit :

shen xin ziranle corps et le coeur/esprit sont naturels.

Shen Xin Ziran

A tra­vers le calme des mou­ve­ments et la tran­quilli­té dans le coeur/esprit (xin), le pra­ti­quant de Tai Ji Quan doit trou­ver et ché­rir le naturel.

Cette forme de natu­rel fait réfé­rence au corps et à l’es­prit, elle n’est pas sup­po­sée être auto­ma­ti­que­ment là mais a besoin d’être recher­chée et entre­te­nue, dans un pro­ces­sus conti­nuel. Ceci devient évident quand Ma Jiang­bao (Ma, p. 53) dit au sujet de la pra­tique res­pi­ra­toire dans le Tai Ji Quan :

Même si la res­pi­ra­tion ne doit pas être diri­gée consciem­ment, la res­pi­ra­tion ne peut être cor­rec­te­ment exé­cu­tée que si la pos­ture du corps est cor­recte : pos­ture sus­pen­due de la tête, sus­pen­sion du coc­cyx, éti­re­ment du dos, détente des épaules, des coudes et de la zone pelvienne.

Ce sont les pre­mières condi­tions, qui pour beau­coup de per­sonnes ne sont pas don­nées d’elles-mêmes, mais qui doivent être maî­tri­sées et entre­te­nues à tra­vers la pra­tique régu­lière du Taijiquan. 

  • Bauer Wolf­gang, Chi­na und die Hoff­nung auf Glück, DTV, Munich1989 (Chi­na and the Hope for Happiness).
  • Das neue chi­ne­sisch-deutsche Wör­ter­buch, The Com­mer­cial Press, Kong Kong 1989 (The New Chi­nese-Ger­man Dictionary).
  • Ma Jiang­bao, Tai Chi Chuan, Mach : Art, Ratin­gen 1998.
  • Mar­tial Arts, Heft No. 8, Mar­tial Arts Ver­lan, Stelle-Wit­ten­wurth 1986.
  • Rol­like Her­mann-Josef, Der Urs­prung des Ziran-Gedan­kens in der chi­ne­si­schen Phi­lo­so­phie des 4. und 3. Jh. v. Chr.
    Europäiche Hoch­schul­schrif­ten : Reihe 27, Asia­tische und Afri­ka­nische Stu­dien, Bd 51, Hei­del­berg, 1994.
    (The Ori­gin of the Ziran Idea in Chi­nese Phi­lo­so­phy in the 4th and 3rd Cen­tu­ry B.C). Ein­ges­tellt von MB um 13:21

* Mar­tin Boe­di­cker est un étu­diant de longue date de Ma Jiang­bao, le fils de Ma Yue­liang et Wu Ying­hua. Il a obte­nu une maî­trise en sciences de l’A­sie de l’Est, a ensei­gné un sémi­naire sur « Visua­li­zing Chi­nese Thin­king Struc­ture » à l’U­ni­ver­si­té de Wit­ten pen­dant six ans. Il publie des livres et des articles sur le Tai Chi Chuan et la phi­lo­so­phie chi­noise. Il vit à Willich, en Allemagne. 

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